Marine Buet, consultante évaluatrice au cabinet ID & ES.
La prostitution est une thématique régulièrement abordée dans les médias, dans les diverses assemblées mais plus rarement dans les discours politiques. Dans ces derniers, son apparition est plus récente, corrélée à la création d’un ministère aux droits des femmes. Le plus étonnant avec ce ministère, c’est qu’il est le seul à avoir vocation à disparaître. En espérant que l’égalité femme-homme soit un jour une réalité économique, sociale et familiale, le ministère des droits des femmes n’aura plus de raison d’exister. Ce qui n’est pas le cas des ministères de l’intérieur, de l’agriculture, de l’outre-mer ou encore de la justice.
Le parti pris français
Aujourd’hui, en France, la prostitution n’est ni interdite, ni autorisée comme une activité à part entière. Johanne Vernier atteste même que l’Etat français ne donne pas de définition claire de la prostitution : « A ce jour, aucune loi française ne précise ce qu’il faut entendre par prostitution, alors même que la sanction de nombre de personnes en dépend » (1). Diverses options ont été avancées : interdiction du racolage, sanction de la clientèle… sans pour autant traiter de la prostitution à proprement parler.
Notre position dans la vision européenne
Au plan européen, on se retrouve dans la grosse majorité des pays où la prostitution est autorisée avec des freins importants, notamment pour les prostituées elles-mêmes, aux côtés de l’Espagne, de l’Italie, du Royaume – Uni, de la Pologne, de la République Tchèque… L’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et les Pays-Bas ont fait le choix d’une prostitution légale et réglementée. D’autres encore, l’ont autorisée mais en ont puni l’usage comme la Norvège ou la Suède. Enfin, les pays comme la Croatie, la Slovénie, la Lituanie ou la Roumanie ont totalement interdit la prostitution sur leurs territoires. Certains vont même plus loin en interdisant le recours à la prostitution sur les autres territoires.
Aujourd’hui, la stratégie est davantage d’autoriser/tolérer la prostitution tout en condamnant les clients. Cette démarche est celle actuellement mobilisée pour supprimer la prostitution. Et selon les premiers résultats, c’est plutôt positif puisqu’en Irlande, la décision a été prise en janvier 2015 de criminaliser l’achat d’actes sexuels et que le nombre de personnes prostituées a été réduit de moitié.
L’opposition entre l’Assemblée Nationale et le Sénat
Le lundi 30 mars, le Sénat a décidé de rétablir le délit de racolage abrogé par la dernière proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la prostitution. A la base, la loi devait revenir sur le racolage ; en contre-partie, une amende de 1500 euros était réclamée à toute personne ayant recours à une personne prostituée. La décision du Sénat est clairement opposée à celle de l’Assemblée Nationale.
Plusieurs raisons peuvent être avancées. La première est que le texte a été adopté en décembre 2013 par l’Assemblée Nationale. Quatre mois séparent donc les deux débats, assez longtemps pour clairsemer une décision. Deuxièmement, le Sénat est, depuis peu, passé à droite, celle de Nicolas Sarkozy et l’opposition politique peut être défavorable au consensus.
Les potentielles suites d’une telle décision
En France, le prostitution n’est toujours pas interdite ni autorisée. Pour autant peut-on considérer la prostitution comme une activité complète et normale ? Si certaines approches mettront en avant « le libre choix » des personnes vendant leurs corps, il est, d’une part, difficile de pouvoir le vérifier et, d’autre part, de considérer l’acte sexuel passant de l’imaginaire intime à la vie professionnelle. Un simple exemple peut le confirmer : organise-t-on des stages pour les collégiens auprès de prostitué-e-s ? Existe-t-il des formations et des diplômes menant à la professionnalisation de la prostitution ? Accepter, dans le cercle familial et social, que des enfants choisissent cette voie n’est aujourd’hui ni valorisant ni soutenu.
Poursuivre dans une politique d’occultation de la prostitution marginalise encore davantage les personnes se prostituant, augmentant encore la dangerosité de cette activité.
L’interdiction du racolage n’a, jusqu’à maintenant, pas porté ces fruits, laissant libre-cours à la pratique de la prostitution et au développement des proxénétismes dans l’ombre. Au-delà de rétablir le délit, le politique rend davantage invisible la prostitution, ses dangers et l’économie souterraine qu’elle développe. Il empêche clairement de pouvoir traiter la problématique de la prostitution, de la positionner et d’agir sur ses dérives. Ces choix politiques ont des répercussions directes sur l’exploitation sexuelle des corps féminins en France métropolitaine mais aussi dans les départements et territoires d’Outre-mer où la prostitution représente un réel fléau, notamment chez les mineurs.
(1) Vernier, Johanne -« Petit lexique de la répression de la prostitution »- Vacarme – 1/2009