Victor-Gilbert Faraux, éducateur spécialisé, a co-animé un groupe de parole d’auteurs de violences en prison en Guadeloupe. Il témoigne…
Au regard du climat du climat de violence qui rythme notre quotidien, au vu des questionnements qui habitent tout un chacun face à la difficulté des adultes à assurer leur autorité et à celle de nos décideurs à amener des réponses adaptées, fussent elles
« ultramarines »…, le travailleur social que je suis dresse un certain nombre de constats et se surprend à être inquiet.
Il se dit qu’une grande partie de la jeunesse continue à crier sa colère et que, visiblement, celle-ci n’est pas entendue…
La société guadeloupéenne aurait-elle engendré une nouvelle forme d’indifférence ?
L’animation conjointe d’un groupe de parole d’auteurs de violences, dans un milieu particulier puisqu’il s’agit du milieu carcéral, est venue nourrir ces constats.
Comment parler de la violence avec des personnes incarcérées pour de tels faits ?
Comment amener à s’exprimer des sujets qui ont été dans l’agir et qui n’ont pas pour habitude de mettre des mots sur leurs faits délictueux, sinon des mots violents ? Comment cerner la violence que certains « véhiculent » à travers des déterminants familiaux, économiques et sociaux et comprendre que l’incarcération en est l’ aboutissement ou, du moins, qu’elle vient révéler des dysfonctionnements ou des carences ?
Comment mettre ces participants en confiance, faire en sorte qu’ils se dévoilent à minima sans qu’ils aient l’impression de « trahir » le clan, la bande ou le gang ? Comment reconnaître cette violence, qui ne se limite pas à l’espace carcéral mais nous taraude, en tant que citoyens ? Comment percevoir aussi la part d’insupportable que porterait en elle l’institution jusqu’à se demander si celle-ci ne générerait pas une forme de violence ?
C’est à partir de ces différentes questions que nous avons tenté de faire émerger une parole.
Certains se sont davantage exprimés. D’autres sont restés en retrait ou n’ont pas voulu laisser apparaître ce qui pourrait être perçu, selon eux, comme une « faiblesse ».
S’asseoir et se parler n’a pas été facile. Il a fallu « gagner » une certaine confiance. Il a fallu expliquer que notre préoccupation première était d’aborder la thématique de la violence dans ses manifestations au sein de la société Guadeloupéenne.
En outre, amener des personnes détenues à s’exprimer sur le phénomène de la violence, celle qu’elles ont « côtoyée » de près, c’est en même temps accepter que soit évoqué ce qu’elles ont encore de violent, et en même temps de cohérent dans leur façon de nous interpeller. Par exemple, l’absence d’activité en milieu carcéral qui fait « que ça tourne en rond » comme un participant nous l’a signalé. « On ne se supporte plus, et çà pète ! » .
Ces temps de paroles ont révélé la nécessité, dans l’espace carcéral, de mettre des mots sur le mal être du dedans, qui ressemble assez à celui de dehors.
C’est une violence qui semble avoir pour terreau des contextes familiaux défaillants. C’est une violence qui a germé parce que des adultes n’ont pas toujours été là, voire ont été absents. Ce sont des enfants qui se sont donc retrouvés très tôt livrés à eux-mêmes sans aucune frustration. Des adolescents encore en âge d’être scolarisés qui se retrouvent impliqués dans des trafics divers.
Il fallait entendre tout cela dans les mots des participants, des mots quelquefois formulés dans une violence contenue.
La présence de certaines personnes en milieu carcéral résulte bien de « l’entassement » de tous ces vécus, dont l’issue est le passage à l’acte délictueux.
La violence qu’il s’agit de prévenir et qui nous inquiète occupe beaucoup de place dans notre quotidien. Elle concerne des individus de plus en plus jeunes. Je constate ainsi qu’un pourcentage élevé de la population carcérale est constitué de jeunes adultes tout juste sortis du monde de l’adolescence et encore vulnérables.
Ceux-ci évoquent, de façon implicite, leurs carences affectives, leurs différents lieux de placement, leur déscolarisation précoce et… la violence qu’ils ont subie.
Ils sont déjà condamnés avec « leurs lots » de comptes à régler avec le monde des adultes.
Ils sont révélateurs d’une dégradation des rapports entre les générations, qui permet à cette délinquance de fleurir sous nos contrées.
Alors comment prendre en charge ces jeunes adultes qui sont dans la répétition de la violence qu’ils ont subie ou dont ils ont été témoins ? Ils ne sont souvent pas en mesure de mettre une parole sur les faits à l’origine de leur condamnation parce qu’ils n’ont pris aucune distance avec eux.
Dans notre conclusion, nous avons insisté sur le fait que nous étions tous préoccupés par ce phénomène de violence.
Nous avons indiqué aux participants que nous prenions en compte ce qu’ils avaient verbalisé même si certains propos restaient encore « teintés » de violence. Nous avons tenté de leur faire comprendre que le temps de détention se devait d’être un temps « utile » ; il devait servir à créer les conditions d’une cohabitation acceptable et de la réinsertion pour les personnes incarcérées.
Nous avons également indiqué que rien ne justifiait une telle violence dans notre société et qu’il n’était pas question de tolérer celle-ci en milieu carcéral.
Ce temps partagé me permet d’affirmer que le milieu carcéral peut quelquefois amplifier cette violence et qu’il serait judicieux, pour prévenir toute récidive, de permettre aux auteurs de mettre des mots sur leur comportement afin de pouvoir le modifier.
Ce serait la première phase de la « lutte » contre la violence, qui doit être menée.