Qu’est-ce que la pluridisciplinarité et comment la mettre en oeuvre ? Marine Buet, consultante évaluatrice au cabinet ID & ES, ouvre des pistes.
Récente dans le secteur médico-social, la pluridisciplinarité est un gage d’accompagnement de qualité. Le terme figure dans la majorité des documents institutionnels et répond aux attentes d’une prise en charge « globale » : on envisage l’usager comme un « tout » dont les besoins sont multiples. Mais c’est aussi une réponse à plusieurs constats : le besoin de reconnaissance et de légitimation des prestations et services proposés, l’accumulation des problématiques (santé, situation familiale et professionnelle) et la montée de la précarité économique et sociale.
Face aux besoins multiples des usagers, les structures ont tendance aujourd’hui à étoffer les équipes pour offrir une prise en charge pluridisciplinaire. Néanmoins, leurs missions restent les mêmes, limitant ainsi la souplesse apportée. Ne faudrait-il pas réfléchir à des établissements « pluri-missions » ?
La pluridisciplinarité implique que chaque métier connaisse les champs d’intervention des autres pour dialoguer, échanger et repérer son rôle pour intervenir au moment opportun. Il faut donc concevoir le groupe professionnel comme une équipe. Or cette dernière « n’est pas un ensemble de personnes. C’est une organisation, avec sa propre dynamique, ses qualités et ses règles. » (1). Si chacun agit sur un pan de l’accompagnement, chaque prise en charge répond à des objectifs communs auxquels les professionnels adhèrent en intégrant l’institution. Cette dernière doit donc concevoir une stratégie de recrutement afin de constituer une équipe cohérente et capable de travailler ensemble.
Face aux problématiques multiples des usagers, le sanitaire et le social ont l’obligation de coopérer et de mener une action coordonnée pour adapter la prise en charge. La pluridisciplinarité et le décloisonnement des disciplines s’alimentent réciproquement. « Le travail en équipe pluridisciplinaire, l’articulation des différentes cultures professionnelles et des pratiques est désormais mis au cœur des préoccupations et devient le levier du rapprochement, du décloisonnement des secteurs sanitaire, social et médico-social. » (3) Une approche globale qui trouve toutefois ses limites dans les cloisonnements administratifs et législatifs entre les deux secteurs.
Culture commune
Afin de dépasser cette dichotomie, il faut être en mesure de créer une culture commune introduisant une égalité des fonctions. Sylvain Goury écrit « Educateurs/médecins… match perdu d’avance ? J’ai pu constater que les propositions éducatives que l’on pouvait faire ne correspondent pas à la préoccupation du personnel médical » (4). Pour créer une prise en charge coordonnée, il faut que chacun soit en mesure d’écouter, de s’approprier les règles de conduite et les références éthiques des autres intervenants pour dépasser les représentations existantes. Mais il est aussi du ressort des cadres de la structure de « manager» la pluridisciplinarité. Malheureusement, certains cadres, notamment dans le secteur médical, n’ont pas été formés au management.
Au-delà des rêves les plus fous de parvenir à établir une culture commune et une totale transparence des barrières entre les disciplines, on peut procéder à quelques ajustements pour rapprocher les équipes :
– La terminologie : il faut attribuer à chaque professionnel une fonction avec des compétences et des techniques rédigés avec des termes précis. D’où l’importance des fiches de poste qui doivent aussi prendre en compte l’évolution du rôle du professionnel. Celles-ci sont un outil stratégique de management. Un accompagnement pluridisciplinaire ne peut être mené que si chacun connaît son champ d’action et celui des autres. Par ailleurs, la terminologie utilisée pour les personnes accueillies va influer sur les modalités même de la prise en charge : parle-t-on de « résident » ou de « patient » ?
– Un emplacement géographique unique : installer les pièces (para)médicales dans les locaux « éducatifs », sans en faire des lieux de soins, facilite la continuité des interventions des professionnels du soin et du social. Le contact avec les usagers est plus fluide et la coordination des réponses est plus aisée. Mais ce regroupement géographique implique aussi la mise à disposition d’outils de télécommunication (téléphone, ordinateur, adresse mail professionnelle…).
– Des espaces de réflexion communs : pour créer une unité de prise en charge, les cadres doivent s’assurer que les informations essentielles sont bien transmises. Si leur formalisation par écrit est donc essentielle, les réunions et les temps moins institutionnels sont fondamentaux.
– Un management humain : les cadres doivent être en mesure de créer une culture d’entreprise en prenant en compte chaque personnalité de l’équipe, au-delà même des tâches professionnelles de chacun. La spécificité technique de chacun et la place hiérarchique des uns par rapport aux autres doivent être reconnues afin de créer une interculturalité professionnelle. Celle-ci est de mise lors des temps de délibération notamment ou lorsque les enjeux institutionnels sont plus importants.
Aller encore plus loin ?
Mais faut-il aller au-delà et tendre vers l’interdisciplinarité ? Plus récente que son homologue pluridisciplinarité, sa mise en œuvre appelle davantage à la créativité mais reste difficile à mesurer. Elle ne dispose pas d’outils, de structuration ou de méthodes évaluatives qui lui sont propres. Dans sa conception contemporaine, elle serait aujourd’hui « la possibilité d’emprunter à un champ voisin (ou éloigné) des concepts qui se révéleraient féconds, à condition d’être « naturalisés » dans leur domaine d’accueil et remodelé » (5) . Mettre en oeuvre l’interdisciplinarité requiert une souplesse intellectuelle et une capacité de connaissance-reconnaissance de l’existant dans les autres disciplines. Elle est davantage une mécanique individuelle qu’un travail d’équipe. Pour autant, elle est une voie pertinente sur des temps ponctuels pour des professionnels avisés. En effet, tendre vers l’interdisciplinarité peut apporter un accompagnement plus global aux usagers. Par exemple, des structures ne disposent que de quelques heures hebdomadaires pour certaines fonctions. Si plusieurs professionnels ont des rôles « support » (psychologue) d’autres travaillent habituellement directement avec l’usager (orthophoniste). Il ne parait pas absurde que ces quelques heures soient utilisées pour que l’orthophoniste « forme », « conditionne » les professionnels de l’accompagnement quotidien pour mettre en œuvre divers outils sur le long terme auprès des usagers. Les heures sont alors mises à profit pour bénéficier à tous, plutôt qu’à quelques-uns sur des temps trop courts. Il apparaît néanmoins difficile de concevoir une interdisciplinarité « totale » dans les établissements médico-sociaux.
(1) « La lettre de Patrick de Saint-Jacob » – Cliniques, 2010/1 n°3.
(2) Richard Templar, « Les 100 règles d’or du management. Un autre point de vue sur l’art de diriger » -Poche Marabout (2012).
(3) « Articulation du sanitaire et du social : Quels enseignements de formation et de pratique en retirer ? » Aifris, aifris.en/03upload/uplolo/c2014_1223.pdf.
(4) « Pluridisciplinarité ? Quelle réalité ? », VST – Vie sociale et traitements, 2008/3, n° 99.
(5) Simon Charbonneau, « Réflexion d’un juriste sur l’enfermement disciplinaire » – Natures Sciences Sociétés 2005/1- Vol. 13.