Jacqueline Victor-Baptiste – Grebert, formatrice à l’Institut méditerranéen de formation (IMF) à Marseille et membre de la commission « formation » de l’ANAS
Pourquoi choisir de devenir d’assistant de service social (ASS) aujourd’hui ? Chaque année, au moment des concours et de la rentrée des étudiants de première année en formation d’ASS, cette question m’interpelle. Je suis toujours curieuse en tant que formatrice et ASS de formation, de découvrir leurs motivations. Cela me semble aujourd’hui une question essentielle pour la pérennité de notre métier. En effet, depuis quelques années, les écoles de formation observent que le nombre de candidats qui s’inscrivent aux concours d’entrée baisse fortement, un constat partagé par la commission formation de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) et de nombreux instituts de formation sur le territoire.
Comment comprendre cette désertion qui n’existait pas il y a dix ans ?
Nous pouvons faire un certain nombre d’hypothèses : un métier difficile, avec une image vieillissante et une rémunération peu attractive. Sommes-nous victimes d’une image médiatique pénalisante ? Ou, plus simplement, notre métier souffre-t-il d’être méconnu et peut-être avons-nous un part de responsabilité ?
Est-ce un problème de motivation des candidats concernant le cœur du métier ? Aider l’autre ne soulève plus de vocation ?
Je reste dans le domaine des hypothèses ou des projections que nous pouvons faire en tant que professionnels du secteur. Mais que pense un candidat qui entre dans une école de formation pour devenir ASS, aujourd’hui ? Plutôt que de chercher pourquoi les futurs professionnels ne viennent pas, je choisis de comprendre les motivations de ceux qui se présentent.
Pour cela, j’ai décidé d’analyser les écrits (1) produits par les étudiants lors de leur première journée dans l’institut de formation, afin que le contenu des études n’ait pas une incidence sur leurs réponses. Quatre ans de documents écrits et de nombreux entretiens avec les étudiants formels ou non formels m’ont permis d’approfondir cette question. J’ai essayé de laisser la place aux paroles d’étudiants pour émailler mon propos, ce sont eux qui en parlent le mieux.
Bien entendu, je tire des moyennes statistiques, des tendances, des généralités qui vont gommer les particularités. Je suis consciente de cette limite inévitable lorsque nous plaçons dans des cases des opinions, qui sont des conceptions intimistes et qui peuvent être pour chacun très différentes, voire divergentes. Je m’excuse donc par avance auprès de ceux qui ne se retrouveront pas dans les arguments les plus utilisés pour expliciter les motivations pour devenir ASS aujourd’hui.
Les origines de la motivation
Une rencontre
Les étudiants évoquent dans une large majorité, la naissance de leur envie en lien avec une rencontre avec un professionnel ASS, un premier contact avec le métier lors d’un stage, d’une présentation des métiers au lycée ou d’un bilan de compétence. Visiblement, nous sommes et nous restons nos meilleurs ambassadeurs, et c’est dans cette sphère réduite que se produit cette alchimie. Encore une fois, nous pouvons interpréter cela comme un manque de communication sur nos métiers, nous continuons à en parler entre nous, en proximité, au cœur d’une relation.
« J’aime les gens »
Une autre dominance pour un quart des étudiants qui ont fait un écrit sur cette question est d’avoir investi un rôle de bénévole et d’avoir voulu transformer cette expérience en métier. Les étudiants semblent avoir expérimenté le contact avec les personnes, le fait d’être présent pour un autre, attentif à une détresse humaine. Ils ont pour certains de longues expériences dans une structure. Parfois ils continuent lorsqu’ils sont étudiants d’exercer cette activité de bénévole. Lors d’échanges informels, ils disent souvent qu’ils ont perçu les limites de cette activité, qu’ils souhaitent aller plus loin, devenir un professionnel de l’aide. Même s’ils ont des difficultés à définir plus précisément cette idée.
« C’était une évidence depuis toujours, je suis né dedans »
Nous trouvons en troisième position des rencontres avec des ASS en lien cette fois avec l’environnement familial, des parents travailleurs sociaux, des proches qui travaillent dans les métiers du care (social, médical, aidants naturels, famille d’accueil…).
Puis des témoignages de futurs professionnels qui ont reçu une aide à un moment donné et c’est peut-être une façon pour eux de rendre cette écoute, ce qu’il leur a était donné, une histoire de don/contre-don.
Les idées phares du métier
Après les trois axes principaux concernant l’origine de leur intérêt pour la profession, les étudiants évoquent leurs motivations avec un vocabulaire qui symbolise bien le cœur de métier. Voici les mots qui reviennent le plus souvent : tolérance, respect, humilité, solidarité, entraide, écoute et patience…
« Métier qui permet d’apprendre sur soi-même » : Après avoir mis en avant une rencontre qui a suscité un intérêt pour le métier, les étudiants mettent en exergue cet argument : « Se sentir utile, efficace », des termes qui reviennent pour 22 % d’entre eux, suivis d’une attention pour la diversité des publics et des missions.
« Se sentir utile » dans les métiers de l’aide reste un argument habituel, mais je ne m’attendais pas à la trouver en première place. Cela remet en question les représentations qui circulent sur la génération Y (une grande majorité des étudiants que j’accompagne en première année ont moins de 30 ans). Selon Christine Charlotin du cabinet Openmind conseil, « [pour les jeunes de la génération Y], l’épanouissement personnel n’est pas négociable. C’est pour ça que, lorsqu’il a envie de prendre des vacances, il les prend. » (« Le Monde, 11/04/2013). Effectivement, l’épanouissement personnel passe en premier dans leur choix de parcours professionnel, mais pas de façon égoïste, dans le cadre de la rencontre avec l’autre, avec une notion d’altérité, même si elle n’est pas nommée dans les écrits.
Le mot « efficacité » qui est associé à cette idée de se rendre utile me questionne. En tant que professionnel du social, cette approche est plus délicate. Le principe d’efficacité (rapport entre les résultats obtenus et les résultats attendus) résonne plus dans les secteurs de l’économie. Le travail social doit-il être efficace ? L’efficacité peut rimer avec urgence, application d’une même solution pour chacun, banalisation des individualités… ou alors avec capacité à arriver à son but, à réaliser les objectifs fixés par avance, en respectant des normes de qualité, de rapidité et de coût… Les étudiants pourraient-ils confondre avec efficience (rapport entre les résultats obtenus et les moyens mis en œuvre) ? Ils pressentent déjà les enjeux de leur futur métier. Le travail social efficace renvoie une image de la profession qui nous questionne, mais qui semble abordée sans gêne par les étudiants qui amorcent la formation.
« Aider une personne à pouvoir avancer et à ne plus avoir peur » La notion d’aider apparaît dans 19 % des réponses. Cependant, dans les arguments utilisés, elle est formalisée, mais de façon plus diffuse, à la fin de nombreux textes, comme une conclusion évidente et non pas en premier argument à la place où je l’attendais. Le verbe « aider » est autant cité que : accueillir, épauler, analyser, encadrer, observer. Une façon instinctive assez juste de définir le métier et les missions.
« Un métier qui permet d’être au plus proche des populations » Enfin, apparaît le rapport à l’autre, l’envie de faire des rencontres (17 %) une envie de réfléchir sur les notions d’altérité, d’empathie, sans pourvoir encore les nommer, « poser des limites entre sois et l’autre tout en sachant rester disponible ».
« Respecter l’autre et le rendre maître de sa vie » : l’autre est omniprésent dans les écrits, avec une absence complète des institutions, des structures où travaillent les ASS. Le cadre des interventions n’est pas associé au métier, les ASS semblent travailler en free-lance, sans contraintes ni cadres. Dans une très faible part des écrits, les territoires sont cités, mais uniquement ceux d’outre-mer, par rapport à des situations personnelles. Donc l’environnement des personnes est peu évoqué, l’importance de cette notion ne semble pas identifiée. Notre métier ne renvoie pas cette image de prise en compte des ressources environnementales de la personne ni de nos cadres d’intervention. Je constate aussi très peu d’évocation des politiques publiques, une seule étudiante utilise cet argument en lien avec la démocratie.
« Modifier les trajectoires sociales des personnes » En quatrième position, l’accompagnement des personnes est valorisé (17,5 %), avec un accompagnement vers l’autonomie, la mise en valeur des connaissances et des compétences des personnes, « que les personnes trouvent leurs propres ressources ». La durée de l’accompagnement dans le travail social est évoquée, on sent un besoin de travailler en profondeur, dans la durée et en équipe (11,9 %). Les autres métiers du travail social sont présents. Les étudiants comparent, s’interrogent sur la mission de chacun. Ils évoquent le fait d’avoir choisi le secteur social en lien avec les médias, des reportages télévisés, Internet et des ouvrages spécialisés (dans cet ordre). Quelques étudiants hésitent entre les métiers d’éducateur spécialisé et d’ASS, pour certain un doute persiste le jour de la rentrée.
Dans les multiples arguments pour justifier leurs motivations, on retrouve d’autres termes qui reviennent régulièrement, comme « le besoin d’apprendre en permanence » (8,33 %), suivi de l’importance de l’écoute et de garantir l’accès aux droits des personnes, d’informer le public. L’écoute et l’accès aux droits vont être mis en avant par des étudiants qui ont déjà des expériences professionnelles ou bénévoles en lien avec le travail social.
« Découvrir et briser des certitudes ». Plus surprenant, les étudiants perçoivent le métier d’ASS comme une profession qui demande « une remise en question permanente » et ils argumentent sur l’intérêt essentiel pour eux de rechercher cette possibilité (7,14 %). Cet argument va évoluer dans l’année. Après avoir brisé, il me semble, plus des représentations que des certitudes, ils déclarent que la formation leur donne les moyens de défendre leurs positions, leurs valeurs. Ils avaient, pour beaucoup, les mêmes idées avant de rentrer en formation, mais l’apport de connaissances permet de développer leur esprit critique et leur argumentation. On retrouve aussi, dans d’identiques proportions, le fait de s’enrichir auprès des autres humainement, de vivre des expériences professionnelles en stage et enfin d’effectuer un métier en cohérence avec leurs valeurs.
« Faire changer les mentalités et diminuer l’injustice ». 7% d’entre eux développent le fait que ce métier demande un engagement, évoquent la possibilité de s’épanouir professionnellement et un besoin d’actions. « Être acteur là où l’on travaille comme dans sa vie », « allier les convictions personnelles avec mon métier ». Des étudiants recherchent un métier « qui donne un sens » à leur vie.
Les valeurs de partage apparaissent : « que tout le monde accède à liberté fraternité égalité », « protéger les plus faibles »…
« Avoir une vision plus juste du monde » : dans les mêmes proportions, une meilleure compréhension de la société est mise en avant, avec un intérêt pour des problèmes sociaux, par exemple la situation des Roms, la maltraitance des enfants…
Avec les arguments sur la motivation, des questionnements apparaissent. En termes de représentation du métier, de façon éparse : « la peur d’être confronté à la violence physique », dans le secteur de la psychiatrie et en milieu carcéral, alors que paradoxalement ce sont des secteurs très fréquemment cités comme des lieux où les étudiants souhaiteraient exercer plus tard.
« C’est un métier à responsabilité ce qui m’attire et qui m’effraie ». Le fait que ce ne soit pas un métier d’exécutant mais qui demande une réflexion quotidienne dans la pratique est évoqué. Ainsi que des questions sur la gestion de la distance professionnelle : comment aider l’autre sans devenir son ami, sans perdre son objectivité ? Parfois apparaît la peur que ce métier soit trop administratif ou se limite à « donner des aides financières ».
Il semble que les étudiants, même si parfois ils avouent ne pas connaître le métier ou en avoir une vision très réductrice avant d’entrer en formation, pressentent de façon pertinente le cœur du métier et les enjeux de demain. Dans leurs écrits il y a plusieurs belles réflexions, je vous en livre une pour finir : « Que la formation me permette, au-delà d’aider les autres, de leur ouvrir la voie à la liberté ».
(1) Ecrits des étudiants en première année à l’Institut méditerranéen de formation de 2009 à 2012, soit quatre promotions.
Article très intéressant. Je l’ai communiqué à certains de mes étudiants ASS.
Compte tenu du nombre de postes libres à la sortie mieux vaut que les promis diminuent.
Cf assistante sociale et au chômage…
Merci pour ce partage d’une vision éclairée des motivations des étudiants à l’entrée en formation d’ASS. Je partage cette vision.
L’invisibilité de la profession ou du moins sa méconnaissance reste un frein vers cette orientation.
Il est important de souligner que les motivations des étudiants sont majoritairement liées à des valeurs humanistes fortes, des idéaux sans cesse réaffirmés sans lesquels l’engagement professionnel ne pourrait s’inscrire sur la durée et qui rappellent souvent les raisons de notre propre engagement. Et cela fait du bien !
Ne dit-on pas régulièrement qu’ « on ne fait pas ce métier par hasard » ?
Carole PERRET, formatrice filière ASS