Carine Maraquin, psychologue clinicienne en Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile)
Les parents (d’enfants handicapés) sont souvent en colère.
Leur colère est sourde, elle n’entend pas les petits bruits que font les professionnels quand ils veulent les prévenir, prévenir une souffrance, anticiper une étape. Ils se cognent dedans comme s’ils avaient besoin d’avoir mal.
Les parents ont besoin d’avoir mal. Ils cherchent à réparer un sentiment de culpabilité lointain, enfoui, bien caché, installé, ou une autre forme de blessure. Ils ne voient pas que ça les épuise, ils ne veulent pas voir ça, s’occuper d’eux, et puis quoi encore, ils préfèrent être aveugles.
Leur colère est aveugle. Elle s’adresse à tout et tous, elle est totale, contre le handicap, qu’elle voudrait détruire.
Leur colère parfois veut détruire, au moins en avoir la force, être sûre d’en avoir la force. Le handicap est si puissant dans sa capacité à détruire qu’elle ne leur paraîtra jamais assez forte contre un ennemi pareil.
Les parents parfois haïssent… le handicap, ce qui le figure, ses marques, la bave, une paire de lunettes, une chaussure toujours usée du même côté, une cicatrice, le visage de son enfant… ceux qui disent qu’il est beau malgré ça.
Les parents espèrent. Ils espèrent que leur colère pourrait s’échouer contre un mur qui tient, qui la retient, qui la reçoit, et qui ne s’écroule pas. Un mur d’entraînement, un mur pour la dompter, pour la façonner, pour l’apprivoiser, juste la recevoir.
Leur colère leur fait peur, à eux déjà. N’est-ce pas assez ?
Professionnels, dont je suis, je voudrais que nous soyions des parois pour la colère des parents. Non pas des murs insensibles et froids où la colère rebondit et ne pourra se transformer qu’en autodestruction. Mais des murs réceptacles, des murs où pourraient se briser les lames de fond, devenir moins tranchantes… Je voudrais que nous puissions recevoir la colère sourde et aveugle des parents en colère. Ils ne sont que des êtres souffrants. La paix est le luxe des bien portants, des miraculeux préservés. Ils ne sont que fureur, ils n’agressent personne, ils en veulent seulement à la terre entière. Entendons ces cris d’appel au secours, pour que juste on leur dise qu’ils font partie de nous, des humains, malgré tout ce qu’ils croient pouvoir les rendre monstrueux. Ils sont des nôtres. Ils n’ont pas à être exclus des dispositifs d’accompagnement, ils sont « l’usager », tout autant souffrants que l’est leur enfant ! et parfois tellement plus…
Vont-ils mieux ceux qui se taisent ? Non. La colère est souvent l’élan vital qui les tient encore debout. Soyons un muret contre lequel s’adosser, le temps d’une pause, d’un papotage, d’un café. Le temps de regarder les fleurs pousser au coin du mur, là où l’herbe est la plus verte. Le temps de reprendre son souffle avant qu’ils ne continuent leur course. Soyons doux et paisibles. Soyons simples. N’ayons l’air de rien. Qu’ils n’aient pas l’impression de nous détruire. Nous ne sommes pas leur cible. Tenons bon, recevons, aidons les à apprivoiser cette fureur, de vivre, avec nous.
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